ENFANCE
D'après un texte "Enfance" d'Arthur
Rimbaud, in Illuminations.
Musique de F. Cotinaud © 2004
I
Cette idole, yeux noirs et crin jaune, sans parents ni cour, plus noble que la fable,
mexicaine et flamande ; son domaine, azur et verdure insolents, court sur des plages
nommées, par des vagues sans vaisseaux, de noms férocement grecs, slaves,
celtiques.
À la lisière de la forêt, - les fleurs de rêve tintent,
éclatent, éclairent, - la fille à lèvre d'orange, les
genoux croisés dans le clair déluge qui sourd des prés, nudité
qu'ombrent, traversent et habillent les arcs-en-ciel, la flore, la mer.
Dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la mer; enfantes et géantes,
superbes noires dans la mousse vert-de-gris, bijoux debout sur le sol gras des bosquets
et des jardinets dégelés, - jeunes mères et grandes sœurs aux
regards pleins de pèlerinages, sultanes, princesses de démarche et
de costume tyranniques, petites étrangères et personnes doucement malheureuses.
Quel ennui, l'heure du « cher corps » et « cher cœur »
!
II
C'est elle, la petite morte, derrière les rosiers. - La jeune maman trépassée
descend le perron. La calèche du cousin crie sur le sable. - Le petit frère
- (il est aux Indes !) là, devant le couchant, sur le pré d'œillets.
- Les vieux qu'on a enterrés tout droits dans le rempart aux giroflées.
L'essaim des feuilles d'or entoure la maison du général. Ils sont dans
le midi. - On suit la route rouge pour arriver à l'auberge vide. Le château
est à vendre ; les persiennes sont détachées. - Le curé
aura emporté la clef de l'église. - Autour du parc, les loges des gardes
sont inhabitées. Les palissades sont si hautes qu'on ne voit que les cimes
bruissantes. D'ailleurs il n'y a rien à voir là-dedans.
Les prés remontent aux hameaux sans coqs, sans enclumes. L'écluse est
levée. Ô les calvaires et les moulins du désert, les îles
et les meules !
Des fleurs magiques bourdonnaient. Les talus le berçaient. Des bêtes
d'une élégance fabuleuse circulaient. Les nuées s'amassaient
sur la haute mer faite d'une éternité de chaudes larmes.
III
Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.
Il y a une horloge qui ne sonne pas.
Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches.
Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte.
Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis ou qui descend le sentier
en courant, enrubannée.
Il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route
à travers la lisière du bois.
Il y a enfin, quand l'on a faim et soif, quelqu'un qui vous chasse.
IV
Je suis le saint, en prière sur la terrasse, - comme les bêtes pacifiques
paissent jusqu'à la mer de Palestine.
Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à
la croisée de la bibliothèque.
Je suis le piéton de la grand'route par les bois nains ; la rumeur des écluses
couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d'or du couchant.
Je serais bien l'enfant abandonné sur la jetée partie à la haute
mer, le petit valet suivant l'allée dont le front touche le ciel.
Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L'air
est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que
la fin du monde, en avançant.
V
Qu'on me loue enfin ce tombeau, blanchi à la chaux avec les lignes du ciment
en relief, - très loin sous terre.
Je m'accoude à la table, la lampe éclaire très vivement ces
journaux que je suis idiot de relire, ces livres sans intérêt. -
À une distance énorme au-dessus de mon salon souterrain, les maisons
s'implantent, les brumes s'assemblent. La boue est rouge ou noire. Ville monstrueuse,
nuit sans fin !
Moins haut, sont des égouts. Aux côtés, rien que l'épaisseur
du globe. Peut-être les gouffres d'azur, des puits de feu. C'est peut-être
sur ces plans que se rencontrent lunes et comètes, mers et fables.
Aux heures d'amertume, je m'imagine des boules de saphir, de métal. Je suis
maître du silence. Pourquoi une apparence de soupirail blêmirait-elle
au coin de la voûte ?
François
Cotinaud a interprété ce texte avec
l'ensemble TEXT'UP à Troyes.
Vous pourrez entendre une version
de cette composition, de cette poésie mise en musique en concert.
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