"INTERVIEW"
de FRANCOIS COTINAUD
par Jean Delestradeالجبر
Quelle est l'origine et l'idée de départ de ce disque ?
Cela fait bien longtemps maintenant que le public perçoit mon travail
comme décalé par rapport à la scène jazz et musiques improvisées. J'ai
travaillé avec le texte, la poésie, le chant, le théâtre musical, et
enfin le Soundpainting. Si bien que le soliste instrumentiste dans tout
ça n'est plus visible. Comme j'ai toujours une sérieuse envie de jouer,
et de faire entendre mes idées instrumentales, j'ai cherché à créer une
formation ayant un pied dans la tradition jazz et une autre dans une
esthétique qui me va bien, narrative, libre, souple, et qui mêle des
thématiques jazz avec des fenêtres chambristes.
Les formes sont à la fois très
éclatées et très ouvertes : riffs rock'n'roll de Pierre, timbres
chambristes de Daniel, batteries bruitistes... J'imagine bien que tu as
toutes ces caractéristiques en tête quand tu sollicites ces musiciens.
Les thèmes présentés ici sont composés pour le disque ? Comment cela
a-t-il guidé ton écriture ?
Moi, je ne suis pas du tout rock & roll ! Mais c'est précisément
cette histoire si singulière de chacun qui m'intéresse. Mon écriture
propose des couleurs fortes, fondées la plupart du temps sur des modes
complexes (non octaviables, ou incluant des notes non tempérées), ou
des motifs mélodiques non référents au jazz, et chaque musicien
s'approprie cette matière à partir de ses propres références. Ainsi des
langages surprenants peuvent naître et dialoguer ensemble.
Est-ce que le fait que vous vous soyez rencontrés au sein d'un orchestre de soundpainting influence vos interactions ?
Oui, les musiciens ne s'interdisent pas les signes, les riffs pris à la
volée. Comme dans toute la tradition du jazz d'ailleurs. Mais là, nous
nous passons bien du Soundpainting. Quelques rudiments nous suffisent.
Le fait d'avoir joué ensemble au sein du Spoumj m'a permis de mieux les
connaître, et de savoir par exemple que Daniel et moi avions une grande
complicité, mais un jeu très contrasté : Daniel est lyrique et cultive
l'instabilité du son, tandis que je m'accroche à un son droit et sans
doute plus rythmique. Pierre Durand réunit toutes ces qualités à la
fois !
De l'expérience du Soundpainting nous vient aussi un goût pour la surprise et la matière sonore.
Un goût pour structurer et déstructurer. C'est le sens premier du mot Algèbre.
Pourquoi avoir fait le choix de ces 3
invitations : est-ce que tu as pensé dès le départ cette formule comme
une forme "souple" susceptible d'accueillir ?
Oui, c'est une formule trio volontairement incomplète : 2 vents et 1
guitare. Par conséquent, j'ai imaginé cette formule pour inviter des
batteurs, des contrebassistes, ou des bidouilleurs électroniques, et je
suis ouvert à bien d'autres choses.
Le principe pourrait être d'accueillir ce trio en résidence avec des
musiciens qui nous seraient présentés pour découvrir ce répertoire.
L'art des combinaisons, l'envie de résoudre des équations, des
déséquilibres, c'est pour moi l'algèbre de l'improvisation. Le trio
peut se produire seul, ou avec un seul invité, l'enjeu étant de trouver
immédiatement un nouvel équilibre à 3, à 4 ou à 7...
Pourquoi ces trois invités en particulier ?
Il se trouve que François Merville est un collègue dans plusieurs
projets, et que nous avons passé commande à Denis Charolles pour le BOA (Bel
Orchestre Amateur). Leur diversité d'approche m'a sauté aux yeux et me
suis dis que l'occasion était belle d'imposer ce contraste dans un même
projet. Une émulation joyeuse.
J'étais certain que Bruno Chevillon saurait inoculer au trio le levain subtil qu'il lui fallait.
Si tu avais le joker d'un possible "invité impossible" qui choisirais-tu ?
Pas si impossible que cela : Paul Lovens, Frank Vaillant, Yuko Oshima
pour les batteurs et percussionnistes, Benjamin Duboc, Charlotte Testu,
Barre Phillips avec qui je viens d'enregistrer «No Meat Inside».